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THIERRY NOIR

THIERRY NOIR A ETE LE PREMIER PEINTRE AU MONDE A PEINDRE SUR LE MUR DE BERLIN

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Nous l'avons retrouvé à Berlin

ENTRETIEN EXCLUSIF recueilli par Jean Milossis

Certaines rumeurs le disaient disparu, des fois mort. Nous, nous venons de le rencontrer à Berlin. THIERRY NOIR est bien vivant et sa petite fille Charlotte est née en 1988 en face du Mur de Berlin.

En 1982 un alsacien lui avait dit :" A Berlin tu verras David Bowie, tu écouteras  LOU REED". THIERRY NOIR est de suite parti pour Berlin et 10 ans après n'en est toujours pas revenu." Après 21h de train je suis arrivé à BERLIN le 22 janvier 1982 à 6h du matin... à la Bahnhofzoo...carreaux de faïence jaune, le grand froid, lumières vives..., des filles et des mecs par terre ivres de drogue et de misère, j'ai marché,marché, pendant des heures...".

"Dès le premier soir je suis allé voir le mur, j'ai marché le long de cette masse énorme, presque blanche, entourée de fils barbelés et je chantais Berlin, un titre de LOU REED - je ne sentais plus le froid, en marchant je chantais en m'accrochant aux paroles de la chanson qui disait je marche le long du Mur. Soudain de l'autre côté de l'allée j'ai vu une grande maison qui avait l'air très ancienne, belle en tout cas, ne ressemblant pas aux autres immeubles de la rue. Le portail était entrouvert, je suis entré. D'un étage à l'autre je n'ai rencontré personne, il faisait bon dans tous ces couloirs. On aurait dit qu'il s'agissait d'un couvent abandonné, un truc comme ça... Plus tard j'ai appris qu'il s'agissait d'un ancien hôpital, un des seuls immeubles qui n'avait pas été détruit par la guerre. Je me suis dit " c'est là que je vais vivre...". En fait cet immeuble était un des premiers squatts d'Allemagne. Il y avait là des gens, presque tous très jeunes, qui étaient certainement venus à Berlin parce que quelqu'un, quelque part, leur avait dit qu'à Berlin tout pouvait encore se faire".

Thierry NOIR vit encore dans cet immeuble aujourd'hui. La grande maison est devenue un foyer de célibataires, et, en face il y a des pelouses...et des arbres...plus aucune trace du Mur.

" Lorsque j'ai vu le Mur pour la première fois il était presque blanc avec juste quelques inscriptions du genre slogans bande à Bader, "Révolution", " Mort à l'Amérique", quelques messages souvenirs de Rolph à sa Martina , " ich liebe dich" et des ordres racistes, beaucoup de mots racistes visant les étrangers. Rien à voir avec le Mur. Pendant deux ans j'ai ouvert chaque matin ma fenêtre sur ce mur qui ne me semblait ni le début, ni la fin de quelque chose. Vers 4h d'un matin d'avril, il faisait encore nuit, une nuit de pleine lune, je me suis approché du Mur avec une bombe de peinture. En quelques secondes j'ai franchi les 5 mètres " verboten" entre Berlin-Ouest et le Mur, terrorisé  par la peur de me faire tirer dessus par les soldats d'en face et j'ai griffonné, plus que je n'ai peint, mon premier VISAGE.

Le lendemain j'étais très fier, j'ai montré mon oeuvre à tous mes copains. Le bruit de " mon exploit" avait très rapidement fait le tour du tout Kreuzberg. Dans les jours qui ont suivi on s'organisa, je suis retourné au Mur chaque nuit. Le 11 Mai 1984 entre et 4et 5h du matin sous les projos d'une télé berlinoise et d'un photographe de chez Sigma on a collé un lavabo et un pissoir sur le Mur. Un hommage à Marcel DUCHAMPS. Tout paraissait tranquille quand soudain j'ai vu la tête d'un vopo émerger au-dessus du Mur. Il n'a rien dit et a disparu, mais quelques minutes plus tard on a entendu des bruits de moteur, des cris , des aboiements. On a décampé. Je suis rentré chez moi et j'ai regardé par ma fenêtre. Derrière le Mur, à l'Est, c'était une mobilisation générale de folie. Des jeeps, des dizaines de soldats qui couraient dans tous les sens sur le no-mans-land, des projecteurs qui s'allumaient, ils avaient même emmené des chiens. Une dizaine de soldats escaladèrent le Mur. Moi je regardais mon pissoir et mon lavabo éclairés par les vopos. Du grand spectacle. Marcel DUCHAMPS devait se rouler de rire là-haut. Eux, les cocos ne riaient pas, ils prenaient des photos de tout ce qu'on avait fait sur le Mur en 3 semaines...des preuves pour le kremlin. Ils ont arraché toutes mes installations, mitraillette au dos. Dans les semaines qui ont suivi d'autres peintres m'ont rejoint. Dans les premiers temps il a fallu travailler dans l'ombre, surtout ne pas faire de bruit, pour ne pas se faire piquer par les soldats. Certains se sont quand même fait prendre malheureusement. Je me souviens de ces deux copains de l'Est qui ont passé deux en tôle pour çela.

Il ne faut pas avoir peur de le dire tout haut, beaucoup de gens de l'Ouest ne s'intéressaient pas au Mur qui les cernait. Les gens ne comprenaient pas notre envie de peindre sur ce foutu monument dédié à l'anti-liberté et nous traitaient de salops, de sales capitalistes payés par le Sénat pour recouvrir les slogans révolutionnaires et racistes qui à l'époque étaient inscrits sur le Mur. Ils ne pigeaient pas très bien que leur révolution c'était nous. En fait tous ceux qui ont été les premiers sur le Mur côté Ouest étaient des étrangers, les jeunes peintres allemands n'ont commencé à suivre notre mouvement que bien des années après. Avant eux, même les vopos avaient déjà commencé à fermer leurs yeux et à boucher leurs oreilles. Tant qu'on escaladait pas leur mur, les petits avaient le droit de dessiner.

Sous les règnes d'Andropov à Gorbatchev des centaines de peintres ont peint sur le Mur. Ils venaient de toute la planète. Les peintures rongeaient peu à peu le Mur. L'art était en train de le faire tomber. Attention nous n'avons jamais cherché à enjoliver le Mur de Berlin. Nous nous sommes juste servis de nos bombes à peintures, de nos pinceaux, de nos craies pour dire au monde: regardez ces couleurs si vivantes qu'on interdit à ces peuples si morts. Et le monde en a pris conscience et le monde s'est soulevé.

Thierry Noir a peint les mêmes visages de 1984 à 1989. On a pu le voir dans " LES AILES DU DESIR " de Wenders. Les cartes postales reproduisant ces travaux sur le mur ont été éditées sauvagement dans le monde entier. Il est l'auteur d'un ouvrage destiné aux enfants japonais leur expliquant en images le Mur de Berlin.

Tout récemment U2, un des premiers groupes de rock du monde, lui a demandé de décorer six Trabant pour les décors de scène de leur dernière tournée mondiale. Il figure également sur leur pochette de disque.

interview novembre 2012 @ Milossis

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