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MARY HIGGINS CLARK

MES GRANDES RENCONTRES : MARY HIGGINS CLARK

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A NEW YORK ON L'APPELLE "Scary Mary"

MARY HIGGINS CLARK en ville

par Courtney Buhr et Jean Milossis

C'est la première fois que vous venez à Strasbourg ?

Mary Higgins Clark: La première fois c'était il y a sept ans. J'étais à Baden Baden en repérage pour l'écriture de mon roman:"Ne pleure pas ma belle" et j'ai pu venir visiter Strasbourg et découvrir une ville magnifique.

Ayant lu plusieurs de vos livres ici, dites-moi: pourriez trouver la même inspiration pour écrire dans une ville aussi calme que Strasbourg où la criminalité est quasi-inexistante comparée à New York 1993 ?

La violence ne m'inspire pas. Il suffit d'une situation. Je ne raconte pas des histoires terrifiantes où une ville entière est à feu et à sang. Je raconte plutôt comment vous rentrez dans votre voiture, vous démarrez et qu'une voix vous dise soudain " tourne à droite ma chérie..." Quelqu'un est installé sur le siège arrière et vous ne l'aviez pas remarqué! Voilà le genre de situation qui m'inspire. Imaginons que vous soyez avec des amis, la baby-sitter garde votre enfant de quatre ans à la maison. L'enfant échappe à la surveillance de la baby-sitter, se promène devant la maison et se fait kidnapper...C'est une scène d'un de mes romans qui se passe  dans une coquette banlieu chic. Cette scène , cet instant, voilà ce que je raconte: l'instant précis où tout bascule. Je n'ai jamais besoin d'un crime crapuleux, mais de gens " comme il faut" et de trouver le moment où leur vie bascule...

Pourtant vos histoires se passent souvent à New York et dans sa grande banlieue. Des quartiers qui sont connus pour leur ultra-violence.

Je ne pense pas que ce soit le cas... Tout se qui se passe dans cette ville est démesurément amplifiée. Il me semble qu'au classement des villes à forte criminalité des Etats-Unis, New York se classe seulement à la 17ème ou 20ème position... Alors que plus de 8 millions d'êtres humains y vivent! Non, la violence est partout: vous la voyez à Minneapolis...vous la voyez dans le Wisconsin...Partout à Los Angeles, à Londres... Même dans des endroits présumés calmes, quand j'étais en Nouvelle Zélande par exemple dans une banlieue résidentielle où n'habitaient que des gens très biens qui ne verrouillaient jamais leur porte de leur maison... Des femmes ont été agressées à leurs domiciles, on leur a tranché les doigts de la main... Ca s'est passé pendant mon séjour là-bas. Si le même crime avait eu lieu à New York le monde entier en aurait entendu parler.

Parlons de votre livre " Recherche jeune femme sachant danser", où plusieurs scènes se passent  dans des endroits bien connus des vrais New-Yorkais.

Je me suis avant tout inspirée d'une conférence donnée par un agent du FBI à laquelle j'avais assistée an tant que Présidente de la commission internationale des écrivains de romans policiers. Il nous parlait de meurtres en série et nous montrait des photos de sept jeunes et jolies filles les mains liées dans le dos, du sparadrap sur leurs bouches. Leur ravisseur avait pris ces photos avant de les flinguer. Ca s'est passé sur une période de 3 ans en Arizona. Le meurtrier a enterré les corps dans le désert. Toutes ces jeunes filles avaient répondu à une petite annonce dans le journal. J'ai transporté l'histoire à New York alors qu'elle s'est réellement passée dans une très petite ville. On trouve ce genre d'annonces personnelles dans n'importe quel journal.

La réalité est dons l'une de vos sources d'inspiration ?

L'air du temps m'inspire...je reprends le cas des petites annonces: de mon temps personne n'aurait répondu à ce genre de chose...la plupart de mes filles non plus... Mais aujourd'hui ça marche et avec des jeunes filles très biens. Il m'est arrivé, par curiosité, d'avoir envie de répondre à ce genre d'annonces...Et puis je me suis dit...surtout pas...quelqu'un va venir se plaindre que j'en ai fait un meurtrier dans l'un de mes livres...Alors j'ai demandé autour de moi si l'on connaissait quelqu'un qui répondait aux annonces personnelles où qui en passait... Si vous saviez le nombre de personnes que je connaissais bien et qui le font...Voilà ce que j'appelle l'air du temps! Je m'inspire de ce que les gens acceptent comme faisant partie intégrante de leur réalité. Les " bébés éprouvettes" sont un autre exemple. Ma nièce a choisi ce moyen pour avoir un enfant. Je pense que c'est merveilleux pour des parents qui désirent fonder une famille mais ne peuvent pas avoir d'enfants. Par contre si ce procédé est mal utilisé, si la manipulation est faite par des mains inexpérimentées... C'est une bombe à retardement!

Deux de vos romans parlent d'expériences sur des foetus.

J'ai écrit " The cradlde will fall " juste après la naissance du premier bébé éprouvette en Angleterre. J'étais fascinée par cette naissance. Toute la communauté scientifique, les magazines scientifiques et le grand public répétaient tous la même histoire: quelle est la signification de cette naissance ? Légalement ? Moralement ? Bientôt aurons-nous des mères porteuses, des ventres à louer ? Qui seront les parents de l'enfant ? Alors je me suis dit que toute cette agitation... toutes ces questions pouvaient trouver des réponses terribles, déboucher sur une réalité épouvantable.

Il existe un thème persistant dans plusieurs de vos romans, c'est l'importance des relations entre femmes surtout quand il s'agit de deux soeurs.

La famille c'est l'utlisation d'un thème que vous connaissez bien. Une de mes amies m'a inspirée pour un des personnages de " Ne pleure pas ma belle": elle se retrouve enceinte à 45 ans alors qu'elle avait déjà une fille de 16 ans. Dès son retour de l'hôpital sa fille aînée lui prend l'enfant des bras et s'en occupe entièrement. Mon amie ne cessait de répéter " ma fille ne m'autorise pas à élever sa soeur !". J'ai trouvé cette histoire intéressante et je me suis dit...Imaginons que l'aînée décide de s'occuper de sa soeur parce que leur mère est une traînée qui ramène des amants à la maison. Et un beau jour l'aînée décide de quitter la maison et emmène sa petite soeur avec elle. Voilà comment l'inspiration vient des gens qui vous sont proches.

Justement à propos de famille, il est remarquable que vous ayez trouvé à la fois le temps d'écrire et d'élever cinq enfants. Racontez-nous vos conditions de travail...

C'est vrai que je n'ai jamais mis d'écriteau sur la porte de mon bureau du style " Ecrivain au boulot " ou " Pas de bruit " ou encore " Ne pas déranger " comme l'ont fait certaines de mes amies écrivains et mères de famille. Je suis persuadée que cela n'aurait pas changé grand chose. J'avais toujours ma machine à écrire posée sur la table de la cuisine. Je n'imposais jamais le silence. Quand il fallait préparer le repas je posais ma machine à terre...J'adore écrire!...A 4 ans, l'aînée de mes petites filles a décidé d'écrire un livre, elle s'est installée un mini bureau en dessous de mon bureau, elle a pris une couverture, des feuilles de papier, de la limonade et quelques fleurs... Elle adore les fleurs... Puis elle m'a dit: " tu écris ton livre et moi j'écris le mien". Une exception tout de même, quand j'arrive à la fin d'un livre, je décroche le téléphone, c'est le sprint final, le moment où je ne m'arrête jamais en cours de route. A part ce moment je ne me coupe pas de mon environnement et c'est ce qui me permet d'entendre comment les enfants s'expriment, comment les adultes s'expriment, la cadence des dialogues... J'écoute... J'écoute toujours... Les écrivains qui ne sont pas en contact avec des enfants tendent à reproduire leurs propres souvenirs. Mais de nos jours les petites filles ne portent plus de robes blanches à moins qu'elles y soient forcées par leurs parents. La réalité est tout autre, c'est cette réalité  qui doit vous inspirer.

En France les gens vous surnomment " Mamie la diabolique".

(Rires)...Ca ne me dérange pas du tout. J'aime ça! La société des écrivains m'appelle bien " Scary Mary " ( Rire).

Quels rôles jouent Dieu et le Diable dans vos romans ?

Un roman policier est l'équivalent moderne des " passions" que l'on représentait sur le parvis des cathédrales au Moyen-âge. La lutte du Bien contre le Mal. Le Bien doit toujours gagner. La balance de la justice doit toujours s'équilibrer. Il en sera toujours ainsi. On ne peut pas vraiment citer " Dieu" ou le "Diable", plutôt le combat perpétuel que se livrent le Bien et le Mal. Je ne suis pas manichéenne mais il faut bien admettre que c'est des moyens de raconter une histoire.  Beaucoup de classiques de la lttérature racontent un épisode du combat éternel entre le Bien et le Mal. Attention... Je ne veux pas dire  que mon oeuvre est à ranger dans les classiques. Vous savez...le combat entre le Bien et le Mal commence au Paradis terrestre. On me demande pourquoi des gens aiment des romans policiers ? Je leur répond allez donc relire " la Genèse" dans l'ancien testament au moment où il n'y a encore que deux êtres au monde: Adam et Eve. Eve pousse Adam à commettre l'irréparable et plus tard l'un des deux fils, Caïn, sa descendance ( rires).

Avez-vous été influencée par d'autres écrivains?

J'ai toujours adoré les romans policiers. Ca a commencé enfant avec les romans de Nancy Drew; l'écrivain s'efforcait de laisser des indices au fur et à mesure de son écriture, comme le petit Poucet qui semait des cailloux. J'ai ramassé les petits cailloux d'Agatha Christie, Josephine Tey, Nigel Marsh, Sherlock Holmes, Ellery Queen et beaucoup d'autres que j'aime encore lire maintenant. Ensuite j'ai publié des nouvelles et une biographie de George Washington que personne n'a lu. Je savais que je pouvais être publiée mais je voulais surtout vendre mes livres. Un conseil que je donne toujours aux personnes qui veulent écrire c'est " regarde dans ta bibliothèque...quels sont les livres que tu préfères? " Ma bibliothèque était pleine de romans policiers, c'était le style de littérature que je préférais...Restait à savoir si je pouvais en écrire. En fait je raconte des histoires que j'aime lire. Des histoires où l'on aime le héros et ce héros mène une vie saine et sans histoire et tout d'un coup le passé fait irruption dans le présent. J'ai toujours aimé ça. Quelque chose qui vient du passé et qui remonte, comme une bulle, pour crever la surface du présent. Le passé affecte sans cesse notre vie présente...Par exemple: il y a 30 ans ma petite nièce qui avait alors 15 mois est tombée d'une fenêtre. En ce moment je fais des transformations dans ma maison et j'ai demandé qu'on me construise des appuis de fenêtre infranchissables pour de jeunes enfants. Voilà une conséquence directe et immédiate de l'influence du passé sur notre quotidien.

Vous est-il déjà arrivé de sentir, comme les héros de vos romans, la réalité qui bouscule et d'être la proie de pulsions inavouables comme tuer quelqu'un ?

Quand on me demande si je connais à l'avance qui sera le tueur au début du livre je réponds oui...Même si cinq personnes ont un motif valable pour commettre un crime, même s'ils ont tous la même dose de rancune ou de haine, un seul d'entre eux franchira la ligne qui sépare la pensée de l'acte. Quelle que soit la situation, la plupart d'entre nous ne franchissent jamais cette ligne. La seule fois ou je pourrais tuer quelqu'un, ce serait pour protéger mes enfants d'une agression armée. Oui, ce serait la seule fois. Mais je serais incapable de tirer sur un cambrioleur...Ou alors en état de légitime défense...Et si j'avais un revolver...ce que je n'ai jamais eu...je tirerais dans les jambes. Il me serait très difficible de tuer l'un de mes semblables.

Alors bien sûr, vous êtes contre la peine de mort ?

Oui, je ne pourrais jamais me retrouver au milieu d'un jury votant la peine de mort. J'en serais tout simplement incapable. Pourtant quand je vois la criminalité de notre époque, je me dis que beaucoup de mes contemporains n'ont pas les mêmes scrupules. De là à décider que la peine de mort est nécessaire pour endiguer la criminalité...je ne sais pas.

Si vous deviez dire une dernière phrase à vos enfants et vos petits-enfants ?

Souvenez-vous de moi dans les rires et dans la joie... ( Rire)

Comment voyez-vous le futur de l'humanité ?

Je pense que la vie est devenue très violente, tout le monde s'en rend compte. La maison de mon enfance était toujours grande ouverte...Nous ne savions même pas ce qu'était un système d'alarme...Et quand ma mère fermait la porte de la maison, elle laissait une pancarte où l'on pouvait lire " la clef est sous le paillasson". Je crois que cette violence vient de la drogue. La drogue est responsable de la majorité des délits commis dans nos villes et nos banlieues car beaucoup de SDF errent dans les rues  le cerveau rongé par la drogue. Si par miracle, toute la drogue disparaissait notre monde serait bien meilleur...Oui bien meilleur...

Votre signe astrologique a-t-il de l'importance dans votre vie?

Je suis capricorne, je lis mon horoscope quand il passe devant mes yeux. S'il est bon je suis d'accord, s'il est mauvais je me dis que tout ça sont des sornettes... ( rires). Je crois plutôt au sixième sens, je pense que nous sommes tous nés avec et que certaines personnes l'ont plus développés que d'autres. Je suis persuadée que notre cerveau est fait pour comprendre et connaître toujours plus de chose. Comme il y a  des gens qui ont l'oreille musicale, il y en a qui ont un sixième sens. J'essaie toujours de développer ma connaissance instinctive des choses, ce sixième sens...C'est beaucoup plus intéressant que l'astrologie.

Le dernier roman de MARY HIGGINS CLARK vient de paraître " UN JOUR TU VERRAS" chez Albin Michel.

J'ai voyagé dans vos rues yankees, Mary

On m'avait dit que Simon and Chuster venait de lui proposer 35 millions de dollars pour ses 4 prochains romans. Y avait du Fixot dans l'air et j'étais bien décidé à ne pas ouvrir " Un jour tu verras" que son éditeur m'avait gentiment envoyé. Et puis il y a eut cette rencontre de 17h05. Courtney Buhr et moi devant une dame qui vout dit bonjour, qui caresse avec des gestes précis son tailleur rose pour chasser un pli ou quelques vagues froissures...et qui vous sourit. Dans l'ombre d'une jolie attachée de presse qui elle aussi s'appelait Marie. Mary Higgins Clark, dehors il y avait un peu d'orage sur la ville et je me demandais à quoi vous pouviez penser, loin de New York, loin de votre appartement de Central Park South, dans ce tout petit Strasbourg. Heureusement le fauteuil de votre chambre alsacienne était de Stark.Mary , pendant que vous dormiez dans votre hôtel, à quelques rues de la mienne, j'ai alors ouvert votre livre. D'un mot à l'autre j'ai voyagé dans les rues yankees. Avec ses détraqués, vos médecins, vos femmes qui se font faire des bébés en laboratoire, tous vos flics, avec votre héroïne Meghan, avec vos manières si distinguées de nous suggérer que votre écriture, Mary, ne lassera jamais personne. Comme vous avez raison. J'ai tout lu et j'étais comme un enfant fier. D'avoir pu voir de près votre sourire de malicieuse petite Alice.

Plus tard, la phrase d'une journaliste des Dernières Nouvelles d'Alsace, Danièle Brison, m'a touchée par sa belle exactitude.Même sans son autorisation il vaudrait mieux la citer, une fois encore " c'est tellement délicieux cette peur qui monte du silence des mots" écrivait-elle. Vous habitez juste à côté de l'immeuble où John Lennon s'est fait descendre...par un maniaque, Mary.

Jean Milossis

photo: René Elkaïm pour Jean Milossis - Village

@Article paru en juin 1993.

 

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