
Jean MILOSSIS
A écrire
- Tu la connais ?
- Qui ?
- Mais enfin cette vieille là-bas sur le trottoir, tu viens de la klaxonner et de lui faire un signe.
- Ah oui, non je ne la connais pas.
- Et elle te répond …
- Des fois je fais ainsi, un simple geste de tendresse, quelqu’un que je vois, qui me semble encore dans la vie par habitude, reniée par ses enfants son mari mort et un chien peut-être mais elle ne l’aurait pas sorti ce matin puis qu’elle était chez la kiné …
- Les lombaires … ?
- Non, non le périnée, rééducation, elle pisse chaque fois qu’elle se baisse et les couches ça fait cher les journées et puis elle hait ces frottements plastifiés entre ses cuisses elle n’a essayé qu’une fois, alors la kiné lui apprend des trucs pour remuscler le corps du bas, la chatte, les fesses et tout ça.
- Et tu ne la connais pas, à m’en dire tout ça … ?
- Non, c’est sa vie pas la mienne, jamais vu cette brave personne.
- Je t’aime, je suis folle de toi .
- Oui et je pars dans trois jours...Roissy 7h 15, début de mat, moi aussi, t’aime, une gamine vive intelligente sans coke et sans portable. C’est chic. Imagine Grace Kelly sur snapchat, ou Jésus sur son facebook…t’as rien toi, t’es snob, oui oui oui, dis rien, ne dis rien…le monde finira un jour par te copier …
- Bon diagnostic. Le monde sera chic tu dis ?
- Oui mon amour, après la fin du monde.
- Tu peux t’arrêter ici ? Je veux chercher un euromillions, y a 100 battons au bout. Deux minutes. Je fais les numéros et je reviens.
Le reçu dans sa main, revenue elle dit:
- Une promesse de 100 battons, ces bandes de grilles à cocher pour libérer des chiffres, des numéros, des anges gardiens qui vont s’occuper de nous, tu sais que tout ça va s’arranger avec 100 battons cash, sans sucer, sans tonne de xanax, sans simulacres de bonheurs rajoutés, mais juste l’accès à un plan B sans devoir intellectuel, le pur oblomovisme.
- Tu poses des chiffres, c’est tout.
- Et puis tu supportes de le faire pour le miracle.
- Ma gamine terriblement que j’aime, tu sais que c’est les imaginer- les déterminer qui est le plus insupportable.
- Le Bic, le trouver ? Oui, tu as raison, les désigner est insupportable.
- Les yeux, la vue, lire et mettre des croix, les chiffres.
- Je mets chaque fois des croix de Jésus.
- Drôle. Dessiner la mort pour vivre encore ?
- Merde, tu es trop. Toutes ces questions. Je n’ai plus envie de gagner à présent.
Il stoppe la caisse devant trois gonzesses d’été, 50 piges à trois. Il a pris le ticket, il a ouvert la fenêtre et il leur a donné les 100 battons.
- Quelles connes – elle les traite de connes, éclatée d’en rire sur le tableau de bord.
- T’as vu leur méfiance ?
- Avant cinq minutes elles se tapent sur la gueule parce qu’elles ne savent pas déterminer qui va les avoir les 100 battons, celle qui a qui tu as remis le ticket, ou le groupe, tu aurais pu leur préciser : ah les filles, les 100 battons en indivision hein…
- Non, je l’ai fait exprès. Qu’elles se tapent dessus, qu’elles s’entretuent, qu’une d’elles se suicidera même, les autres s’en mêleront, les familles, les flingues, les flics, les diables en travaux dirigés, il faudra qu’elles comprennent dans leur chaos qu’une certaine beauté aurait pu poindre avant tout ça, fallait juste l’imaginer, avant.
- Méchant mais utopiste ! Platon. Cité naturelle .Cité juste…
Lui - On a pas fait l’amour 1000 fois hier soir, on a baisé.
Elle - Les cris, de jouir ? Je pense souvent dans les scènes de film qu’ils feulent, qu’ils grognent, qu’ils crient, comme le résultat de souffrances.
Lui - Oh ta pensée-là me semble bâclée et me fait peur. Mais tu peux avoir raison. Je pensais lorsque je disais qu’on avait baisé, aux animaux, comme eux. Grandeur et déclin de l’attitude face à l’amour.
Elle – Alors, pour évincer l’hypothèse de la douleur je dirais « Kermesse », des gaufres, des nougats, et des voyages en super grand 8. Ces détails de joie intense.
Lui – D’en jouir alors. Oui et dans l’été c’est impressionnant, la sueur sur le visage.
Elle – Les aisselles, la chatte, ah oui, le cou et la rigole dessus m’ont toujours impressionnée, même chez les travailleurs dans les chantiers, cette eau de vie qui s’échappe d’eux. Près de chez toi il y a une statue, de Jeanne d’Arc, des fois je la débarrasse de son armure sous cette chaleur et regarde les ruisseaux de ses pores et les moineaux y boire et l’éventer la Jeanne avec leurs ailes. Tu vois, toi tu klaxonnes les gens seuls pour leur donner des secondes d’amour et moi c’est les statues, les libérer de leurs fièvres.
Lui – Oui mais mes secondes accordées à leur solitude vont devenir des heures des jours de bonheur peut-être, alors que tes statues ne jouissent que dans ton rêve. Je ne suis pas un romantique puisque je vis.
Elle – On a commandé deux fondants au chocolat. La serveuse a dit 15 minutes. On ……. (silence) ?
Lui – D’accord je te rejoins en bas. Chez les dames, c’est plus élégants.
Elle – Viens, vite, je t’aime je t’aime. Chacun à son gré d’accord ?
Nous avons arrangé ainsi la jouissance chacun. L’un pour l’autre. C’était ainsi l’unique possibilité de nous aimer, de ne pas jouir.
Enfin je pense mentir puisqu’elle me dit, alors que les fondants au chocolat brillaient sur la nappe :
- Nous avons été très cochons, nous avons joui une fois de plus là-en-bas, baisé comme des cinglés. A présent j’ai une douleur dans le genou qui a cogné un tuyau, j’ai écarté si fort. Plus je t’aime plus j’écarte …
Le fondant son chocolat est arrivé dans des assiettes roses, extraordinairement soyeux sur la langue, et dans ses yeux le soleil entre deux nuages. Par exemple il y a ceci qui me semble beau, très beau.
Vérité du corps, on a crié encore la nuit dernière. Elle est intenable de désir, elle vaut 100 battons fois plus que moi parce qu’elle rêve, et que ce mensonge qu’est le rêve : fait vivre.
- Regarde ce vieux bonhomme avec son charriot à courses, il était comme ça mon père. Finir sans ma mère il l’a fait. Il a vécu beaucoup plus longtemps qu’elle. Tu peux le klaxonner quelques secondes ?
Le vieillard cherche et nous voit, alors que nos petits signes de reconnaissance vers lui ne semblent l’encombrer ni de crainte, ni d’incompréhension.
- C’est rare, regarde, il sourit, a lâché un bras de son charriot et nous rend les signes.
- Je t’aime tellement distributeur d’amours.
Le tarmac est plein de voyageurs d’été.
Elle dormait à peu près lorsque je suis parti à l’aube.
- Combien je t’aime.
- Je t’aime petite ville romantique.
- On n’en a jamais parlé. Maintenant dis-moi : tu reviens quand ?
- Avant la fin du monde je serai là.
Fin
Jean MILOSSIS
C / BAZAR A SCENARIOS
09-2017